Depuis près de vingt ans, un plasticien français trace un chemin singulier, où la poésie le dispute à un puissant imaginaire. Artpassions s’est invité dans son atelier.
Peu d’œuvres convoquent si harmonieusement la tête et le cœur: face à une installation de Laurent Pernot, s’épanouit aussitôt un mélange de tendresse et d’impalpable mélancolie. On y rencontre pêlemêle quantité d’étoiles filantes, de voies lactées, de bougies perpétuelles, des poèmes en lévitation, une ribambelle d’enfants numériques ou nacrés, mille pétales, sans omettre les cotillons d’une fête révolue – et d’étranges objets figés dans un givre immuable. Ces natures mortes jalonnent le parcours de l’artiste: "Ça a commencé avec une montre à gousset qui ne fonctionnait plus, se souvient-il. Face au mécanisme arrêté, j’ai songé à la glace, et j’ai eu envie d’associer l’objet à un geste sculptural." Le plasticien assimile cette épiphanie au médium par excellence du passé cristallisé: "Prendre une photo, c’est bien sûr arrêter le temps, qui va se perpétuer à travers une image. L’expression papier glacé me parle beaucoup. Il y a cette idée d’une chose immobilisée, mais en même temps immortalisée."
Un mot cependant n’a jamais été oublié par Laurent Pernot: le temps. L’atteste sa récente installation Le temps de vivre, qui pose cette locution à quelques encablures de Lausanne, sur la surface du lac de Malbuisson, plus vaste point d’eau du Jura, et région natale du plasticien, qui note: " J’aime partir de l’histoire d’un lieu. Je suis remonté jusqu’au développement de la vie humaine autour de ce lac. Mais pour revenir à la question du temps, j’ai réalisé cette pièce au début de la pandémie, quand beaucoup de citadins ont éprouvé le besoin de réinvestir une nature qui leur manquait... Et au-delà du décor de la nature, sa temporalité si particulière. " Alors soudain, la surface fluide où se posent ses mots, avec ses vacillations, ses jeux de reflets, matérialise la fragilité de l’homme face à l’irréversible.
À bien y réfléchir, l’amour s’avère le mot crucial du lexique pernotien. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer l’un de ses multiples Kiss: ces deux lèvres par exemple, se frôlant dans le vide à la faveur d’une chaînette d’or. " J’ai souhaité traduire le moment suspendu que constitue un baiser, explique le concepteur, mais aussi l’illusoire fusion totale. La pièce tient sur un clou, les lèvres sont en plâtre: à tout instant, le lien le plus puissant peut chuter, se briser ". Le temps de l’amour, c’est long et c’est court, entonne Françoise: comme dans Vision, où la fébrilité d’une flamme se mue en regard, ces lèvres s’apparentent enfin à des éclats de vies, dont ne subsisterait que la passion...
L'instant d'une vie, Château Malromé, jusqu’en janvier 2023, exposition personnelle